La marche du milieu

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Encres de Michèle Dadolle

La poétesse vit ici l’expérience d’un palier dans l’ascension de l’écriture poétique, écriture à la fois incandescente :
Il faudra reprendre au feu
l’outil pour frapper
la transcription
sur les contremarches
à venir
,
et haute :
gravir est une charge.
Dans une totale disponibilité, une femme attend ce qui lui sera donné dans le vécu de cet arrêt, mue par l’immobilité même du milieu...
Advient alors une autre étape
de l’œuvre, le passage de l’individuel au monde universel, à travers l’exploration des archétypes : Déluge, figures du Tarot, légende arthurienne... Et le monde se révèle comme un grand corps, le grand poème plein de sens dans toute la polysémie de ce mot.

 Critique de PIERRE PERRIN, Poésie1/Vagabondages n° 29, mars 2002 :

Le précédent ouvrage de Chantal Dupuy chez le même éditeur était déjà richement illustré de ces encres couleur de feu, de cendre et de nuit sans lune dont Michèle Dadolle offre la reproduction au fil des poèmes. "Initiales" traitait de la transmutation du souvenir. De la mort du père semblait sourdre la recherche d’une raison de vivre. L’énigme habitait la toile du langage que tissait, le souffle court mais tenace et précis dans l’ambiguïté même, Chantal Dupuy, qui explore toujours plus avant la frontière de l’impossible. "La Marche du milieu", le titre l’indique d’emblée, poursuit l’ascension, ou la fouille, mais le dernier poème qui est aussi le plus accompli, plaide pour une sorte de transcendance.

Nous avancerons longtemps encore,
à travers l’amour déchiré,
vers ce qui serait l’ “Homme”
et, lorsque nous croirons atteindre le sommet,
là où un vol d’étourneaux
pénètre la corolle du ciel,
après la soif lunaire
et les blessures insanes,
nous verrons qu’il n’était
que le premier d’une cordillère.

Telle est donc la vue qui se dégage de "La Marche du milieu". C’est sans doute à chacun de juger la pertinence de cette œuvre en construction – non pas au prétexte que le goût serait démocratique, mais parce que la critique a sacrifié l’autorité qui seule la justifie à l’insignifiance majoritaire – ; cette œuvre cependant mérite plus que de la considération. Le souffle court dont je parlais plus haut n’est en rien une pique, d’autant moins que si chaque bref poème se termine par un point, c’est comme souvent chez les lapidaires le livre entier qui fait sens. Cette brièveté offre au reste un gage d’honnêteté. Chantal Dupuy consigne en effet, dans un autre beau poème que la ferveur seule, en faisant se conjoindre l’observation et l’attente, délivre la parole poétique. On est par conséquent aux antipodes de l’imposture de ceux qui font mousser les copeaux de leur impuissance. Le poème de Chantal Dupuy n’a rien du passe-lacet ; il capture l’insaisissable. Elle passe / ouverte / sur le tranchant du siècle. Elle poursuit l’énigme à l’intérieur même de celle-ci, lorsqu’elle consigne par exemple son vœu de confondre et démasquer le temps.

Cependant sous le poids délétère du ciel et face à l’obscénité du garrot, l’écriture garantit-elle quoi que ce soit ? Homère était aveugle ; avons-nous suffisamment médité ce symbole parvenu jusqu’à nous ? Nezâmi ou Rûmî, sur l’autre rive, semblent établir que l’être l’emporte sur le chant. La poésie n’est elle-même qu’un passage – un souffle ainsi qu’on la désigne quelquefois. Elle est une posture de vivre, elle est au service d’un accueil de ce qui nous dépasse. Et c’est pourquoi ceux qui se servent de la poésie au lieu de servir la réflexion qui la fonde peuvent gesticuler : ils impressionnent la foule preste à tourner le dos à la vie intérieure. Ceux-là ne risquent pas de mettre le pied sur l’éternité. Tout au contraire ce livre, qui présente l’homme / en dieu périmé, aide à discerner le feu entre les simulacres. Il élève l’âme, sans renoncer à aucun fruit. Il est de ceux qui éclairent, non seulement sans aveugler, mais très lentement, de l’intérieur et par degré. Il mérite d’autant plus le jour qu’il porte ce dernier à sa signification la plus haute.

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