Parenthèses (Prix Verlaine 2024)

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Éditions Henry : Jean Le Boël, éditions La Rumeur libre (Andrea Iacovella)
Couverture : Isabelle Clément

Ceux qui les referment sont les mêmes qui les ont ouvertes.

Ce recueil, qui vient de paraître, comporte deux parties, une sur la mort du père  :

 I- "PASSE, IMPAIR ET MANQUE" (Passe un père et (me) manque)

Extraits :

"Ces mots,
couchés sur le papier dans l’urgence,
comme s’ils pouvaient prendre la place des morceaux
de ton corps qui se délite,
le colmater,
des mots semblables à une chair saine, vivante.

Ta présence est devenue celle,
plus aigüe, des absents.

Les souvenirs possèdent-ils un corps
qui laisse des empreintes
au sol de nos cerveaux ?

Tu voulais être "Là-haut",
avoir, disais-tu, la vue sur la plaine,
sur la ferme familiale.
Mais tu ne vois rien.
Plus de sens.
Tu n’as plus de sens,
tu ne t’appelles même plus "Tu"."

Papa, environ 30 ans

 II- "LAISSE DE MÈRE", deuxième partie sur la mort de la mère :

Extraits :

"Tu me délaisses,
je te délaisse.
C’est comme une comptine...
Une comptine pour faire peur
aux enfants méchants.

Je te délaisse,
tu me délaisses.

Petit à petit,
tu te délaisses.
Tu abandonnes ton corps.
Tu t’endors dans tes yeux
pour éprouver l’approche de la mort.

Est venu le temps de Maman est morte...

Comment peux-tu t’effacer,
devenir ce sable broyé
sur le rivage d’une île étrange ?

Laisse de mère,
un peu de silice qui crisse sous les dents de la mémoire."

Maman à 30 ans

Un recueil poignant et fort qui fait écho en chacun de nous.

 Les indispensables de Jacmo, Jacques Morin, dans "Décharge" :
Chantal Dupuy-Dunier :
Parenthèses (Editions Henry)
 Le Magnum - Repérage -
Date de mise en ligne : samedi 23 décembre 2023
Copyright © Décharge - Tous droits réservés

Comment se positionner par rapport à la mort de ses parents ? C’est dans l’ordre des choses.
Les années poussent le tapis roulant. Lentement, inexorablement. Les parenthèses se
referment. Le père puis la mère.
Parenthèses. Ce mot paraît tout de même étrange, dans sa dimension accessoire. La vie de ses ascendants,
n’est-ce qu’accessoire, mineure, secondaire ? Sans doute pas. Ou alors est-ce dans des approximations,
paronymes, dont l’auteure est friande Sédiments, / c’est dit Maman… où l’on pourrait imaginer parents / taisent. À lire
le dernier vers de la première partie : Tu t’es définitivement tu.
Car elle s’adressera d’un bout à l’autre à son père, avec toute l’ambiguïté d’un sujet qui n’existe plus d’une façon
directe en quelque sorte, sans fioriture, n’évitant ni la dépouille d’abord ni le cadavre ensuite. Un visage en
décomposition…

Chantal Dupuy-Dunier aime les métaphores, ainsi celle-ci parlant du caveau : dans le même ventre lapidaire ou du
cimetière : …des cyprès ponctuent les tombes, / hautes bougies votives

Pour les deux, elle retracera les parcours, les vies, avec ces inclinations particulières propres à chacun. On sent
l’éloignement plus prononcé par rapport à sa mère, dont elle ne voudra pas garder une dernière image. Mais
auparavant, il y a ce face à face : tu t’endors dans tes yeux / pour éprouver l’approche de la mort et cette image
bouleversante : La fixité de ton regard me défigure. Avec aussi ta main murex...

Même souci du détail zoomé dans les cérémonies Moi muette, / pas un poème lu, / étranglée. Ensuite, on n’est pas
loin du déni : Une mère cadavre, ça n’existe pas et plus loin une mère en cendre, ça n’existe pas
On a du mal à imaginer l’inconcevable.
Chantal Dupuy-Dunier présente deux tombeaux, allongés l’un près de l’autre au sein d’un même recueil. Chacun est
traité à sa manière. On y trouvera une façon semblable de parler de l’arrachement. Il s’agit chaque fois de garder
une distance lucide avec l’émotion qui submerge le cerveau. Parenthèses décidément refermées pour repartir seule
sur le chemin.
Post-scriptum :
15 €. La rumeur libre éditions : Vareilles – 42540 Sainte-Colombe-sur-Ga

 CLAUDE VERCEY :
A ceux qui nous manquent (II)
I.D n° 1097 : Quand les parents se taisent
publié le 11 avril 2024 , par Claude Vercey dans Accueil> Les I.D :

C’est pas moi qui ai commencé !, comme se défendent les enfants pour se dédouaner de quelque fourvoiement. Pas moi, non, qui le premier me suis risqué à jouer avec les mots, à les désosser, les désarticuler, pour leur faire avouer plus qu’ils ne veulent dire : de longue date, Chantal Dupuy-Dunier est coutumière du fait, à propos de son propre nom en particulier, en de précédentes publications. Aussi est-ce sans trop de scrupules, avec la vague certitude que la poète l’a pensé avant moi, que j’entends le titre de son récent ouvrage : Parenthèses, aux éditions Henry (Coll. des Écrits du Nord) comme : les parents se taisent.

Car ils se sont tus, le père et la mère, et à chacun, tour à tour est dédiée une moitié du livre qui les évoque. Poésie de l’absence et du deuil, qui lui a valu le rapprochement avec le tombeau dressé par Luce Guilbaud dans La perte que j’habite (I.D précédent : n° 1096). En dépit de quoi, les partis pris de l’une et de l’autre diffèrent notablement : celui de Chantal Dupuy-Dunier est crument affirmée : la mort, à laquelle entend se confronter, et confronter son lecteur par la même occasion, loin des illusions qui consolent et du sentimentalisme, est celle qui arrive « pour de vrai ». Et le poème sur la page suivante l’explique :

« Pour de vrai »
Pas la mort grimée des histoires et des croyances vaines.
Celle qui fait mal
tord et altère les corps.
Celle qui se révèle bleue
comme les taches qu’elle imprime sur la peau des cadavres.
Celle à l’odeur douceâtre
que tente de masquer un parfum de violette.

De fait, ce n’est pas la mort, représentation abstraite, selon l’auteure, qu’évoquent Parenthèses, mais sans détours le mort et la morte, le cadavre bel et bien, avec ces images afférentes de morgue et de cimetière, de crémation, le corps d’une mère en cendres et en os broyés, en regard duquel remontent les souvenirs des derniers jours, la conscience de son abandon final en la maison de retrait :

les enfants habitent trop loin
Qui ont aussi vieilli
ne conduisent plus guère
et c’est si compliqué les changements de train

Il faudra faire avec ce choix de ne pas te revoir.
Je ne serai pas là pour te border au seuil
toi ma mère déguisée en une autre.

En première partie, le père, ou peut-être pas :

Qui c’est
le monsieur émacié
couché dans la pénombre comme une statue de cire ?

Impitoyable Chantal. Qui non seulement se penche sur le cercueil, nous conduit à l’église, puis au cimetière glacial sous le vent, mais au-delà, dans la tombe, évoquant mois après mois, l’accomplissement de la dissolution du corps, entre les parenthèses en bois. Il s’agit, pour la poète, de ne pas se mentir, ne pas se payer de mots, ni d’illusions :

Mon père de terre et d’eau désormais
tes fluides irrigueront les lavandes
les lambeaux de ta peau se mêleront
aux écorces tombées des platanes
les fibres de tes muscles nourriront les grives.

... jusqu’à ce vers et son brutal constat :

Tu t’es définitivement tu

Repères : Chantal Dupuy-Dunier : Parenthèses. Vignette de couverture : Isabelle Clément. Coll. Les Écrits du Nord. Éditions Henry ( Jean Le Boël - 74, route de Wailly - Le Bahot - F 62180 Verton). 128 p. 15€.

Lire à la date du 23 décembre 2023, en Repérage sur le site, la lecture de Jacmo de ce même ouvrage.

 Parenthèses
Chantal Dupuy-Dunier
Les écrits du Nord, Editions Henry (2023)

Par Annie Forest-Abou Mansour, ANNIE MUSE sur son remarquable site "L’écritoire des muses" :

Parenthèses de Chantal Dupuy-Dunier Un hommage à des parents défunts

Parenthèses est un diptyque poétique lyrique, tragique et pathétique dans lequel la poétesse et écrivaine Chantal Dupuy-Dunier (1) rend hommage à ses parents défunts, à ce père, comme le dit l’exergue « passé dans la dimension du manque », à cette mère dont elle n’a pu prononcer l’éloge lors de ses funérailles : « Moi muette / pas un poème lu, / étranglée », tant l’émotion était forte. Des années plus tard, elle rédige un recueil poétique pour compenser son douloureux mutisme et crier l’inconcevable.

Un cri contre l’absurdité

Parenthèses propose des poèmes narratifs sur le temps qui passe, la vieillesse et surtout la mort, dite sans détour, dans sa réalité la plus concrète, la plus crue, loin de la consolation de l’au-delà et de l’éternité, loin de l’espérance d’une communion avec le divin : la mort « Pour de vrai »…/ Pas la mort grimée des histoires et des croyances vaines ». Chantal Dupuy-Dunier dit l’absurdité de la mort, la séparation, le manque, le deuil. Elle hurle surtout l’horreur de la mort, l’impensable, l’effroyable, l’inacceptable ( « Un visage en décomposition…/ Comment peut-on perdre son visage, / ce qui nous révèle aux autres ? ») : le corps réifié, décomposé (« et ton corps qui se délite », « à toi qui ne possède plus d’oreilles, / bientôt deux petits trous / de chaque côté du crâne » ), le corps dévoré par les vers, « Et les vers ….Non ! // Ton ventre, d’où je viens. Vaine vendange des vers, / ton sang absenté de tes veines… Non ! » ou le feu de la crémation. Sa mère, « (…) (les) vertèbres broyées dans l’urne », elle « toute entière dans ce vase », devenue « la plus petite des matriochkas, / une poignée de poussière à l’intérieur d’une urne, / dans un tombeau / dans un cimetière ». Le néant, l’horreur, aux antipodes des êtres aimés que ce père et cette mère furent, retrouvés sur des photographies, (« Tu n’as que vingt ans, / étudiant aux Arts et Métiers, à Aix. / En maillot de bain sur une plage, musclé ») et dans les souvenirs : « Tu te souviens : Tu m’apprenais la carte du ciel / dans le ciel limpide de Bonnieux ». Leurs qualités (« Tu étais si présent, si généreux avec tous »), leur jeune beauté, (« Belle, si belle ma mère »). Tout si vain, si dérisoire, tout disparu à jamais : « Au fond, c’est ça la mort, comme si nous n’avions jamais existé… ». Il ne reste à la poétesse qu’à faire défiler les souvenirs, effectuer un retour sur le passé de ses parents, leur histoire, leur vie avec ses joies, ses peines, ses difficultés : ce père « fils de paysan devenu ingénieur », « Après la sieste, le dimanche, / on jouait à la pétanque près du puits,/ entre le platane et le hangar où le grand-père remisait la batteuse », la mère, comme le souligne le leitmotiv, si belle, à seize ans, à trente ans sur les photographies retrouvées, devenue « presque fantôme » sur les derniers clichés. Tout est éphémère : le temps passe inexorablement, irrémédiablement. L’écriture tente vainement de le capturer, de le figer, mois après mois dans une succession de poèmes : « Un mois déjà. / Là-haut, ton corps se dissout petit à petit… », « Deux mois déjà. / Là-Haut, ton corps se dissout petit à … »/ « Trois mois déjà. /Là-haut, ton corps se dissout petit… », « Quatre mois déjà. / Là-haut, ton corps se dissout… », « Cinq mois déjà. / Là-haut, ton corps se… », « Six mois déjà, la moitié d’une année. / Là-haut ton corps… »/ « Sept mois déjà./ Là-haut, ton… », « Huit mois déjà. / Là-haut… », « Neuf mois déjà /… », neuf mois, le temps d’une naissance, mais une naissance inversée, désagrégeant progressivement le corps dans un refrain lancinant, avant de le pulvériser dans le néant matérialisé par les vers rongés petit à petit comme le corps paternel et par les points de suspension, consomption de la phrase. Image obsessionnelle de ce corps qui se délite. Vision surréaliste et visionnaire : corps transformé, mêlé aux éléments, devenant nutriment pour la faune et la flore, (« Mon père de terre et d’eau désormais, / tes fluides irrigueront les lavandes, / les lambeaux de ta peau se mêleront / aux écorces tombées du platane, / les fibres de tes muscles nourriront les grives »), « laisse de mère », « (…) viscères abandonnés sanguinolents // sur l’estran ». L’expérience terrible du fragmentaire et du tragique.

L’éternité de la poésie

Chantal Dupuy-Dunier dit ce qui fut et ce qui est désormais dans des textes ancrés dans le réel. Les personnes et les lieux nommés, Colette, Bonnieux, la Durance, Mont d’Or, la tragédie de la fin de vie affichée :« Fauteuil roulant, / Couches, / viande hachée, / passages obligés dans ce lieu / où les hommes n’ont plus le droit d’être des hommes… / Langage brouillé, / codes différents, ceux de la mort proche. La maison de retraite devenue pour la poétesse, « maison de retrait » où le résident, privé de son passé et de ses attaches, attend la mort dans la solitude, loin des enfants, désormais âgés eux aussi, (« (…) les enfants qui habitent trop loin. / Qui ont aussi vieilli, / ne conduisent plus guère, / et c’est si compliqué les changements de train »), à qui il a donné la vie, à qui il a tout donné. « Elle n’a quitté aucun de ses quatre enfants, / elle est morte, seule ». L’adjectif accentué, isolé au centre de la page, mise en relief de l’intolérable solitude. Réalité atroce, difficile à appréhender, à concevoir, (« Une mère cadavre, ça n’existe pas », « Une mère cendre, ça n’existe pas »), difficile à dire, difficulté exprimée par de nombreux points de suspension. Mots tus, arrêtés, dans l’impossibilité de continuer : vide dans la vie, béance dans le récit. Mais la fille orpheline, malgré tout, arrive à jouer avec l’écriture, les répétitions, les figures de style, les mots que le père lui a offerts : « C’est toi qui m’as offert les mots-jouets, / pas ceux de tous les jours, / les outils de la poésie ». Les mots poétiques, eux, continuent à vivre, à exister, contrairement aux parents.

La chute tragique du dernier poème consacré au père, « Tu t’es définitivement tu », expression du silence définitif, se décline subtilement dans le recueil, « Sédiments, / C’est dit Maman,/ tout est brisé », dans le titre, Parenthèses, paronyme de « parents taisent », tout est dit, tout est fini. Heureusement, la poésie accorde l’éternité. Parents absents, mais immortalisés dans le recueil poétique, et présents, nichés au creux des mots-jouets qui résonnent en point d’orgue : « Vague après vague, / les flots recouvrent ton tableau d’une gouache outremère », « Ecriture devenue orpheline,/ bancale,/ privée de repère ». La Beauté vibrante de l’écriture née de l’inacceptable laideur de la mort !

Un memento mori

Parenthèses est le tombeau des parents défunts (« Tu, mon père, / pour toujours entre les parenthèses en bois / des planches de ton cercueil »), un Memento mori, l’intime s’ouvrant sur l’universel, rappel cruel, émouvant et triste de notre mortelle condition, miroir pour la poétesse (« Chaque jour me rapproche de toi. / Je te rejoins au carrefour de nos rides / et de notre pâleur. / J’accosterai un jour prochain à ton rivage ») et pour tout un chacun.

(1) D’autres ouvrages de Chantal Dupuy-Dunier

Les compagnons du radeau
C’est où poezi ?
La langue du pic-vert

 Dans "LES AMIS DE MICHEL BAGLIN" :
"PARENTHÈSES" DE CHANTAL DUPUY-DUNIER
27 AOÛT 2024

Ces parenthèses sont constituées de retours sur la mort du père puis de la mère, comme des cadavres que l’on exhume de leurs tombeaux.

Des parenthèses sur ce qui s’est écoulé, ce qui reste à vivre et qu’il faut noter « sur le papier, dans l’urgence. »

Apprivoiser la mort, car la fille ne reconnaît pas son père dans ce mort qui ne lui ressemble pas

« Qui c’est/ le monsieur émacié/ couché dans la pénombre comme une statue de cire ? »

Le père encore vivant, c’est à travers les photos que sa fille le retrouve. Celui qui est mort, son corps qui peu à peu se délite, c’est « Tu, mon père/ pour toujours entre les parenthèses en bois/ des planches de ton cercueil. »

Son enterrement sera tel qu’il le voulait.

Et la fille compte les mois « Trois mois déjà/ Là-haut, ton corps se dissout petit… » L’évocation de ce corps en putréfaction voisine avec ce qu’a été le père. La mort est hideuse, et Chantal Dupuy Dunier nous le montre sans filtres.

Le deuil, c’est cette acceptation de la perte du vivant

« A présent j’ai pour père un cadavre

Qui continue de se décomposer

En se mêlant à la terre et aux morts. »

Pour combler l’absence, restent les souvenirs comme ce lapin en peluche offert dans l’enfance, ou l’évocation de la gourmandise paternelle avec les tartes aux pommes, les treize desserts.

Puis, c’est au tour de la mère de s’absenter de plus en plus de la vie. Cette mère lointaine qui n’est plus sa mère mais « laisse de mère » qui crie l’abandon.

« Tu me délaisses,

je te délaisse.

C’est comme une comptine… »

Il y a, décrit avec une abrupte lucidité, l’avancée vers la mort

« Petit à petit

Tu te délaisses,

Tu abandonnes ton corps,

Tu t’endors dans tes yeux pour éprouver l’approche de la mort. »

Cette seconde partie s’intitule "Laisse de mère", comme la laisse de mer qui abandonne ses déchets sur la plage et cet abandon préfigure celui de la mère qui déserte son corps

« Tes viscères abandonnés sanguinolents sur l’estran… »

Les images sont fortes, dérangeantes par moment.

Il y a ces allers-retours entre mer et mère, le rythme de la vague et ce corps débris comme ceux que la mer rejette sur le sable.

« Ma mère asséchée

Par l’ultime retrait de la marée,

La lune aux abonnés absents. »

Vient le temps des funérailles, « Tes terribles funérailles » où la fille ne veut pas de la vision du corps sans vie.

La mort, la morte dans le grand cycle de la mer

« Naufrage de tout ce que tu aimais

Épave rejetée sur le rivage

Ma mère. »

Cette mort questionne sur sa propre mort

« J’accosterai un jour prochain sur ton rivage. »

La mort est aussi source de création et cette « laisse de mère » devient « une ligne tendue à l’écriture. »

Ce diptyque poétique raconte la double perte, celle du père suivie de celle de la mère. Chantal Dupuy- Dunier nous ouvre cette parenthèse du deuil avec cette rage de dire malgré tout, avec cette parole rude aux accents douloureux.

Ces poèmes émouvants sont comme une sépulture offerte aux parents morts avec, à la place des fleurs, ces couronnes de mots pour dire qu’on ne les oublie pas.

Régine BERNOT-PHILIPPE

"Parenthèses" 128 p., 15€, Éditions Henry

PARENTHÈSES DE CHANTAL DUPUY-DUNIER

 Une recension de Jean-Paul Gavard-Perret :
Chantal Dupuy-Dunier et les disparitions

Chantal Dupuy-Dunier montre comment le langage ne sépare pas du réel mais ramène à lui. S’y rejoint.
Ici les mots désignent des faits et non des fantasmes et ramènent aux séparations du père et de la mère. L’auteure ne cherche pas à les refouler. D’où une écriture singulière attachée au presque innommable. Ce que les écrivains sophistes biaisent, une telle auteure le redresse. Chez elle le sens ne se limite pas au courant d’un fleuve mais s’enrichit de la pression de ses rives. Et l’artiste en montre le plus insondable.

Le comment dire ne cache pas ici comme trop souvent le comment ne pas dire. Et ce par la singularité d’un langage qui dans sa simplicité échappe à tout "discours".

 Par Mathias Lair| 6 mars 2024|Catégories : Chantal Dupuy-Dunier, Critiques

Parenthèses : voilà un titre plutôt énigmatique. Est-ce celles qui bornent notre chemin, depuis l’avant jusqu’à l’après, faisant de nous… une parenthèse dans le cours des choses ? Il semblerait ici qu’il s’agisse des deux parents défunts : « ceux qui les referment sont les mêmes qui les ont ouvertes ». On peut y voir une charge agressive : ils n’étaient donc qu’une parenthèse ! On apprendra au fil de la lecture que le père a manqué à l’enfant, et que la mère l’a délaissée.

Chantal Dupuy-Dunier ne nous a pas habitué à ce type de texte, on perçoit bien qu’il fut une urgence pour elle. Tant est fort le besoin que nous ressentons tous de retracer l’histoire au moment du décès de père et mère. D’inscrire des mots sur la dalle :

Ces mots
couchés sur le papier dans l’urgence,
comme s’ils pouvaient prendre la place des morceaux
de ton corps qui se délite

On comprend dès lors que le texte tienne autant du récit que du poème. Pourquoi aussi il se lit d’une traite, comme si nous étions à la recherche de l’histoire familiale de l’auteur ; l’histoire de sa genèse puisque le récit des origines est à l’origine de toute histoire. Est-ce pourquoi celles-ci sont toujours reconstruites afin de donner à lire une légende où les ancêtres sont toujours valeureux ? Du coup nous voilà gonflés au narcissisme, fiers de nous et de notre tribu… Rien de tel chez Chantal Dupuy-Dunier, elle nous fait voyager sur l’autre versant de l’histoire, celle que l’on balbutie dans les larmes et l’amour.
La première partie du livre porte comme titre : Passe impair et manque : le père est passé, il a manqué, quel impair a‑t-il commis ? Avant tout celui de mourir, dépouillé de lui-même :

changé en un autre que mon père.
Réduite, sa tête,
comme par les Jivaros
Nez busqué
avec cette trace de piqure
sous le menton
On t’a vidé de ton sang,
Vampirisé

Pendant neuf mois (soit le temps d’une naissance ?), la fille imagine la dissolution, la dislocation du corps paternel – un corps qu’elle aima pour le voir ainsi dans sa matérialité ; d’où cet érotisme noir où quelque chose du corps de la fille est enterré avec celui du père, avec lui elle endure le froid sous terre, elle assiste à la décomposition de son visage, la perte de son sourire, jusqu’à l’insoutenable :

Et les vers…
Non !
Ton ventre d’où je viens.
Vaine vendange des vers

Tant fut intense la fusion amoureuse.
La seconde partie du livre est titrée : Laisse de mère. On appelle « laisse de mer » la bande de débris déposés sur la plage au gré des marées, composée d’algues, de bois mort, mais aussi de déchets abandonnés par les humains. Nous voici donc prévenus !

Tu me délaisses,
je te délaisse.
C’est comme une comptine…

Il semblerait que la mère fut aussi abandonnée que la fille, sur le sable au gré des marées :

Naufrage de tout ce que tu aimais,
Épave rejetée sur le rivage,
ma mère

Je n’en dirai pas plus, au lecteur de découvrir le fond de l’histoire…
La fille n’ira pas saluer la mère agonisante. Ni son cadavre avant la clôture du cercueil. Son corps va disparaître, enfourné dans le crematorium, la fille est là :

Moi muette,
pas un poème lu,
étranglée.

C’est le père qui lui donna les mots. Quant à la mère : « de chair et de lait / de lèvres et de mains aimantes », ainsi fut-elle en un temps perdu, depuis longtemps semble-t-il.
Un amour contrarié, donc. De sa mère, l’auteur dit : « l’imparfait porte bien son nom ». Et cependant :

Dans mon miroir,
c’est ton visage éteint que j’aperçois désormais.
En vieillissant, je te ressemble, ma mère.

… Telle est la thèse sur les parents de Chantal Dupuy-Dunier …

 Chantal Dupuy-Dunier / Parenthèses
Publié le 20 mars 2024 par Angèle Paoli dans "Terres de femmes" :
<< Poésie d’un jour

" ... la dernière branche
de notre arbre généalogique... "
Photo : G.AdC

Toujours ne rime pas avec amour,
mais avec mort.

Je veille de loin sur ta dernière veille.
De loin, c’est comme rien.
Tu vas franchir le passage,
« seule et sale » disais-tu…
Allitérations, alitée ma mère,
malade de l’ultime maladie.

Je ne serai pas là pour soutenir ta main,
toi qui tenais la mienne pour mes premiers pas…
ta main momifiée vue sur les photos,
ta main devenue serre,
ta main murex,
doigts nacrés,
raidis avant le cadavre.

Née dans le ventre de ta mort,
je ne danse plus les mots,
souffle coupé à l’unisson du tien.

La fixité de ton visage me défigure.
Ta bouche grande ouverte ne laisse plus passer les mots.

Déchirés ta chair,
ton ventre et ma naissance.

Ô conque où ont résonné
les bulles de mes premières voyelles.

Ô la caverne soie de ce ventre
qui a abrité mon corps,
l’a porté jusqu’à la déchirure […]

Ton agonie…
Comme ça peut être long des points de suspension !

Ton temps suspendu,
aux soubresauts épileptiques.

Le mien aussi
qui se balance à la dernière branche
de notre arbre généalogique.

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Chantal Dupuy-Dunier, « Laisse de mère » in Parenthèses, Vignette de couverture Isabelle Clément,
Les Écrits du Nord, Éditions Henry 2024, pp.74, 75, 76, 77, 79.

 Chantal Dupuy-Dunier / Parenthèses / Lecture de Gérard Cartier
Éditions Henry / Écrits du Nord, 2023)

Rites de passage

Certains recueils sont de l’ordre des rites – de ceux qu’on a de tous temps voués aux grands passages de l’existence. Quand ils naissent d’un deuil, ils font plus que le sanctifier, plus qu’assister qui en est frappé : ils nous aident, nous lecteurs, à affronter nos propres épreuves, et notre impermanence. Quelques livres, écrits dans le vertige d’un amour précocement arraché, ont ainsi marqué durablement notre époque – Du mouvement et de l’immobilité de Douve, par exemple, ou Quelque chose noir. Pour n’être pas lestés de cet inadmissible, les recueils écrits en mémoire de parents disparus, en donnant voix au chagrin, en nous remplaçant si nous avons manqué, n’en sont pas moins troublants.
→ Parenthèses est le livre de ce double deuil.

Chantal Dupuy-Dunier, qui dit n’avoir pas su dans l’occasion trouver les mots pour dire la perte, y revient des années plus tard, dans une composition en diptyque : "Passe, impair et manque", sous-titre où, sous le jargon des cartes, qui rappelle que nos vies sont filles du hasard, on entend Passe un père, et manque ; et un explicite "Laisse de mère". Ce ne sont pas des thrènes, mais des pages de carnet aux notations rapides, de brefs poèmes « couchés sur le papier dans l’urgence », puis au fil des jours, dont elle fait une cérémonie retenue, sévère, modeste, nécessaire.

De ses parents disparus, de ces deux parenthèses dans le néant, nous saurons peu de choses, mais ce peu est tourmenté. Un père issu de la campagne, assez brillant pour se faire ingénieur, bientôt happé par la folie, interné, soumis aux électrochocs, longtemps absent au monde et à sa famille, avant de trouver un apaisement tardif. Une mère dont les années sont scandées par les deuils précoces et les abandons, qui fait face sans faillir. Ces événements douloureux, seulement évoqués, colorent légèrement le recueil, lui impriment le sceau de la réalité sans l’arracher à l’universalité. Ces deux vies, moins minuscules que d’autres sans doute, mais à quoi l’on peut s’accorder, ces deux vies à peine individualisées valent pour toutes.

La section en mémoire du père est très singulière. Ce qui impressionne, chez Chantal Dupuy-Dunier, c’est son matérialisme absolu. Nous sommes chez Lucrèce. Il n’y a pas, dans cette opération de deuil, la moindre transcendance – ¬ pour autant que quelques images figées, des émotions presque aveugles, des paroles du passé qui subsistent en nous, ou qui font résurgence dans l’écriture, ne relèvent pas d’une sorte de transcendance à usage personnel. Son imagination s’attache au corps sans vie, enfermé dans des « parenthèses en bois », livré à la consomption, s’effaçant au fil des saisons. Cette inspiration noire, qui relève d’une longue tradition (qu’on pense aux transis sculptés sur les dalles ou aux vers sépulcraux de Chassignet), s’incarne pourtant dans une forme très tenue, loin de la prolifération d’images qu’appelle chez d’autres ce sujet.

Trois mois déjà.
Là-haut, ton corps se dissout petit…

Autour du cimetière,
quelques bourgeons osent esquisser le printemps.

À l’intérieur, des cyprès ponctuent les tombes,
hautes bougies votives.
Les vœux formés en ces lieux ne se réalisent jamais,
ils se dissolvent avec les corps.

La mort prélève hanches, cuisses et sexe,
artères et cœur,
comme un boucher.

Quant à la mère, qui est montrée « malade de l’ultime maladie », se délaissant peu à peu, se desséchant, puis s’éteignant seule, sa mort requiert un tout autre registre. Sa fille, en effet, se voit privée de cette amère ressource de l’esprit, l’imagination. L’incinération, violente, rapide (« On préfèrerait […] la lenteur d’un bûcher, / des rites de passage »), l’a réduite à presque rien, à « la plus petite des matriochkas » : une urne posée sur une tombe, qui dissuade d’aller y honorer celle qui n’y est pas, qui trouve son vrai tombeau dans ce livre…

Sur ton sable :
des lettres froissées,
des objets morts.
Les morceaux de verre dépolis
voisinent avec un collier décapité,
la nacre de coquillages écrasés
et trois bagues coupées.
Ces anneaux tenaient tes doigts,
se souvenaient d’un lien.

Naufrage de tout ce que tu aimais.
Épave rejetée sur le rivage,
ma mère.

…lequel finit sur cette leçon, commune à tous, mais que tous ne s’avouent pas : « Depuis ta mort, / je n’ai plus jamais été enfant. »

→ Gérard Cartier pour Terres de femmes

Tombe de mon père à Bonnieux
Tombe de ma mère à Manosque

 Article de Jacqueline Persini dans "POESIE PREMIERE" numéro 90 :

« Même le loup, même les puces,
même la chèvre de monsieur Seguin »

« Les animaux, les petits, les gros, ils ne meurent pas toujours des mêmes causes mais ils meurent tous, même le loup, même les puces sur le dos du loup de la chèvre de monsieur Seguin (et même Alphonse Daudet, l’inventeur de la chèvre, il est mort…). »
En 2010, Chantal Dupuy-Dunier s’adressait avec humour et tendresse aux enfants mais aussi aux grands, comme pour apprivoiser le tragique de l’inexorable de la mort.
« La mort, c’est simplement : ça dort ».
Dans son livre Parenthèses , elle pose un nouveau caillou sur son chemin d’écriture. Un gros caillou peut-être qui nous concerne tous : celui de la mort des parents qui laisse entrevoir la nôtre.

Elle est l’auteur d’une trentaine de livres dont Initiales (éditions Voix d’encre) qui lui a valu le Prix Artaud en 2000, Creusement de Cronce (Voix d’encre) et Pluie et neige sur Cronce Miracle (éd. Les Lieux Dits, 2 Rives)
Les thèmes essentiels de sa poésie sont aussi bien la vie dans ses beautés que la mort dans son irreprésentable qu’elle parvient portant à approcher avec ses mots.
Avant Parenthèses, plusieurs livres avaient abordé directement la question de la mort au point qu’au Sénégal, Chantal Dupuy-Dunier avait été surnommée « la poétesse du sommeil ». Ainsi : Où qu’on va après ? (L’Idée bleue / Cadex), Et l’orchestre joue sur le pont qui s’incline (La Porte), Celle (L’Arbre à paroles), Il faut laisser la porte ouverte, (éditions Henry).
En mai 2013, paraît Mille grues de papier (Flammarion) inspiré de l’histoire de la petite Sadako Sasaki, irradiée à Hiroshima et morte à l’âge de douze ans. Auparavant la petite fille avait plié 644 grues en origami car un proverbe japonais disait : « Quiconque plie mille grues de papier verra son vœu exaucé. » Et à l’image de Sadako, Chantal Dupuy-Dunier avait « plié » 644 poèmes…
Inachèvement de nos projets comme de nos œuvres ! On ne peut échapper à la maladie, à la vieillesse, à la mort mais tant que nous sommes vivants, nous pouvons déplier quelques pages lumineuses, attraper quelques instants de grâce.
La poésie résiste aux flammes noires et sollicite les forces vives de nos corps éphémères.
Dans sa chronique du Monde des livres intitulée « Chantier avec grues », Eric Chevillard avait écrit : « Ces vers modestes manifestent, à l’instar des origamis, un art économe et qui n’a guère besoin que d’une feuille de papier pour s’opposer à l’anéantissement programmé de toute chose, des êtres, de leur corps et de leur mémoire. Le poète, en lequel Chantal Dupuy-Dunier voit avant tout un insomniaque, est bien celui qui veille et qui perçoit encore les signaux de l’immense phare couché, désossé au fond de l’eau ».

Avec Parenthèses, Chantal Dupuy-Dunier affronte la mort des parents.
Le titre métaphorique Parenthèses est énigmatique comme le sont la vie et la mort. Si on se réfère au dictionnaire : La parenthèse est définie « comme une insertion, dans une phrase, d’un élément accessoire qui interrompt la construction syntaxique ». Elle comporte une forme ouvrante et une forme fermante. Quel est l’élément accessoire ? On peut retenir le mot interruption et ceux d’ouverture et de fermeture. « Ceux qui les referment sont les mêmes qui les ont ouvertes », écrit la poétesse en exergue.
Le titre de la première partie du recueil : « Passe, impair et Manque » est une manière d’introduire la tombe du père. Passe père qui manque ? Avec plusieurs sens ? Comme s’ils prenaient la place du corps qui se décompose, les mots « sont semblables à une chair saine, vivante ». Dans son cercueil, le père n’est déjà plus reconnaissable : « changé en un autre…/ Réduite, sa tête, comme par les Jivaros/ Nez busqué/ avec cette trace de piqure/ sur le menton ». Mais sa présence absence donne lieu à un défilement d’images comme pour se réapproprier sa vie, les liens profonds qu’il a su créer avec sa fille et avec d’autres. Il y a cette sensation de froid dans l’église, le cimetière qui va durer… Le « tu » s’impose pour continuer à lui parler. D’abord de sa vie passée. Ingénieur, ne fabriquait-il pas des « aimants » mot si proche « d’aimant », des « parenthèses en bois » semblables aux planches de son cercueil. Et un des lieux où il travaillait : sa verrerie suscite-t-elle aujourd’hui « les vers en fusion » de sa fille ? Les paronymes permettent peut-être un déplacement ponctuel de la douleur à la légèreté du jeu. D’autant plus que le père a offert à sa fille « les mots-jouets…les outils de la poésie ». Mais privée aujourd’hui de re père, l’écriture ne sait où elle va, de l’imaginaire de la décomposition aux visages intacts des photos. De mois en mois, dans une syntaxe désemparée, la langue devient « morternelle ».
Des objets sont précieusement gardés, entre autres, la photo du père qui voisine avec sa casquette, « celle de l’été, la blanche » posée dans la bibliothèque « sur la rangée Seghers, /appuyée contre Artaud, Eluard, Sabatier », également la dernière carte d’anniversaire que le père n’oubliait jamais de souhaiter à sa fille.
La naissance et la mort sont inséparables pour chacun d’entre nous. Et la mort des parents vient nous le rappeler brutalement.
Nous projetons sur les choses nos émotions et dans le deuil, celles-ci deviennent une des marques essentielles de la personne disparue. Pour supporter le jamais plus, il y a une nécessité de mettre à l’intérieur de soi du vivant : « Torse nu, Tu bêchais le jardin » même si au même instant ne peut s’oublier que « La mort prélève », confisque tout. Comment représenter l’irreprésentable de ce « Tu qui n’es plus Tu » ? « Tu n’habites pas même Poste restante, /Tu n’as plus ni adresse, ni maison ».
Au fil du temps, les parenthèses se referment. D’autres peuvent-elles s’ouvrir ? Dans le présent, les abeilles butinent les lavandes qu’irriguent les fluides du père. Et les grives se nourrissent de ses lambeaux. Et au-delà de ce qui ne s’est pas fait, n’a pas pu se faire, la fille continue durant neuf mois (ne faut-il pas mourir et naître une nouvelle fois après la mort des parents ?) à parler à ce père gourmand et généreux, rappelant des moments privilégiés : la pétanque le dimanche, « les monceaux de douceurs » qu’il savait donner…Cependant la conscience du jamais plus ne la lâche pas. Dans les mêmes pages, sont restituées la vie du père et sa décomposition lente et irrémédiable : « Tu n’as plus de bouche, plus d’estomac/ pour boire les jours…. Tu deviens liquide… ». Mais le petit lapin en peluche offert depuis longtemps qui a suivi partout la poétesse sera transmis à la petite fille, traversera les générations. Une façon de prendre soin du père, de soi, de ceux qui suivront. Prendre soin dans la vie, de la vie, n’est-ce pas essentiel ?

Dans la deuxième partie du recueil, se dessine autrement le deuil : Laisse de mère.
La laisse de mer renvoie à une bande de débris (algues, bois morts, déchets) que les marées déposent sur le sable.
Abandon de la mère, abandon de la fille… : « Tu me délaisses, /je te délaisse ». C’est de loin que la fille parle à sa mère dont l’agonie se déroule dans une maison de retraite. Son ventre est devenu « poisson mort ». « La fixité de ton visage me défigure ». Impossible de continuer à la voir dans ce lieu de couches, de viande hachée, de fauteuil roulant. Impossible d’accepter cet effacement d’une mère si belle dont est tombé le soleil, « une mère déguisée en une autre. » Le cercueil sera fermé sans la fille devenue muette. Et puis, « toute entière dans ce vase, / tout ça trop vite, absurde ». Quels objets restent-t-il d’elle ? « Un collier décapité… des coquillages écrasés…trois bagues coupées. » Coquille vide, le corps de la mère : Sédiments, / C’est dit maman, / tout est brisé ». Le paronyme met de nouveau une distance avec la douleur et ce qui en réalité ne peut se dire. Se raconte cependant à demi-mots une histoire triste de la mère abandonnée par quatre hommes. Délaissée la mère suscite-telle le délaissement de la fille qui ne pourra pas aller sur sa tombe ? Perdue à jamais la mère « de chair et de lait, /de lèvres et de mains aimantes ». Cependant un objet entier : une broche la représentera un peu, rejoindra Prévert et Saint John Perse dans la bibliothèque. Pour les vivants, chaque jour est un jour en plus et un jour en moins. Alors, pour continuer la vie, étant donné que dans le miroir, en vieillissant l’auteur ressemble de plus en plus à sa mère, ne faut-il pas affirmer : « Une mère cadavre, ça n’existe pas… Une mère en cendres, ça n’existe pas ».
Pour rester vivante, lucide et sans complaisance, Chantal Dupuy-Dunier poursuit au fil de ses nombreux livres le tissage de sa grande toile de poèmes contenante d’amour et d’humanité.
Il y a la mort. Il y a la poésie, cette « langue de Haute Flamme » qui veille, insiste, persiste.
« On n’est qu’un petit point dans ce monde, /mieux une minuscule partie d’un petit point. Vu des étoiles, / c’est quasiment la même durée de vie / pour tout le monde. /… Moi j’ai rien que des mots dans la tête, / des mots lumière, / avec de l’air qui tourne autour. / Vous avez remarqué : Si on enlève le r, la mort devient mot. »

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Un spectacle poésie-musique "PARENTHESES", tiré de ce dernier recueil (éditions Henry/La Rumeur libre) :
a été donné le SAMEDI 2 DECEMBRE 2023, à 14 heures, à la LIBRAIRIE DES VOLCANS de CLERMONT-FERRAND, 80 Bd Mitterrand. Il a rassemblé 45 personnes dans le patio plein pour l’occasion.
Avec, au violoncelle : Lionel Michel, professeur au conservatoire de Clermont, Dominique Mottet, Frédérique Chassaniol, récitantes, conteuses dans l’association "Conte-ci, conte-ça" et moi-même.
Lionel Michel a interprété, entre autres morceaux, un remarquable "Mort à Venise" de Mahler, une première pour un violoncelle seul.

 Prix 2024 de la Maison de Poésie, fondation Blémont, de Paris :
Les Prix 2024 de la Maison de Poésie ont été remis, ce jeudi 5 décembre, à :

Joël Bastard - Grand Prix de Poésie pour « Les couvertures contemporaines » suivi de « Le principe souterrain » (Gallimard, 2024)

Najwan Darwish - Prix de Poésie étrangère pour « Tu n’es pas un poète à Grenade », traduction d’Abdellatif Laâbi (Le Castor Astral, 2023)

Baptiste Pizzinat - Prix spécial du Jury pour « Canif » (Editions Maëlstrom, 2023)

Chantal Dupuy-Dunier - Prix Verlaine pour « Parenthèses » (Editions Henry, 2023)

Grégory Rateau - Prix Rimbaud pour « Le Pays incertain » (La Rumeur libre, 2024)

Gaëlle Aubin - Mention spéciale du Jury du Prix Rimbaud pour « Déplier les jours » (La Kainfristanaise, 2024)

Remise du Prix Verlaine, lecture d’extraits par Jean Le Boël.


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