C’est où Poezi ?

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La couverture est d’Isabelle Clément.

Préface

À quelques mois d’intervalle, j’ai été invitée à la Fête internationale du Livre de Saint-Louis du Sénégal, puis à Mayotte pour le premier Printemps des Poètes organisé dans l’île, en compagnie du poète mahorais Nassuf Djailani. Cette île de l’Océan Indien devait devenir une semaine plus tard le 101ème département français. Jusque-là, je ne connaissais pas le continent noir africain et n’avais jamais passé la ligne mythique de l’équateur. Je ne me rendais pas dans ces deux pays afin d’y faire du tourisme, mais pour accomplir le travail que l’on attendait de moi. Au Sénégal comme dans l’hémisphère austral, les croissants de lune sont « en berceau », horizontaux au lieu de verticaux. Cette autre lune est devenue à mes yeux le symbole de la relativité de nos habitudes de vie. Même trajets terriblement longs, enchaînant de multiples escales. Les portes de l’avion s’ouvrent enfin sur la chaleur suffocante et sur un monde étrange où coexistent beauté et misère, fascination et saisissement, en particulier devant la situation des enfants des rues de N’Dar ou celle des clandestins de Mayotte. Deux situations économiques différentes, mais le niveau de vie relativement plus élevé de Mayotte entraîne un flot d’immigration venu des Comores avec comme conséquence une grande précarité de ces populations. Deux situations politiques différentes. Au Sénégal, le poids du passé colonial demeure et Saint-Louis est une ville qui témoigne d’une histoire singulière. Mayotte, quant à elle, a souhaité être française et l’île cherche à gommer toute trace de son histoire commune avec l’archipel des Comores. Dans « La lune en berceau » comme dans « Karibou Poezi », j’ai essayé de ne pas porter de jugement de valeur. J’ai recueilli ce que j’ai vu, ce que j’ai vécu. Je suis rentrée chamboulée par ces deux voyages. Je pense que l’on ne peut plus écrire impunément quand on a touché du doigt ces réalités si éloignées de nos existences occidentales.
Une question face à cela : « C’est où Poezi ? »

Au mois d’octobre 2012, après un détour de dix mois par le Centre anticancéreux de Clermont-Ferrand, lieu d’un exotisme limité où mon désir d’écrire était aussi en berne que mes cheveux, c’est au Liban que je me rendis, invitée au Salon du Livre francophone de Beyrouth. Je séjournai trois semaines là où tant de grands poètes ont vu le jour, dans cet Orient où Lamartine, Nerval et d’autres se sont rendus pour un voyage initiatique, rituel, signifiant. Je partis en me disant que c’était sans doute là-bas Poezi. Au nord du pays, à Tripoli, proche de la frontière syrienne, les attaques étaient régulières, il y avait couramment des morts et des blessés. Six jours avant de mettre le cap sur le pays dit des cèdres bleus, mais dont le bois est rouge, un attentat à la voiture piégée eut lieu dans le quartier chrétien d’Achrafieh, en plein centre de Beyrouth, et des troubles suivirent pendant quatre jours la mort de Wissam El Hassan qui pratiquait le métier fort exposé de Chef des renseignements de la police. Le Salon faillit être annulé. Heureusement, les organisateurs firent le choix de le maintenir : la culture contre la barbarie des attentats et des guerres. Il n’est pas interdit de rêver.
Dans son très lucide et poignant "Cérémonial de la violence", Andrée Chédid dit :
« Puérils sont les mots Vaine l’écriture Effréné pourtant, le désarroi du cœur ».
Face au terrorisme et à la guerre : « C’est où Poezi ? »

Chantal Dupuy-Dunier

Le pont Faidherbe à Saint-Louis du Sénégal

I - Extrait de "La lune en berceau" (Saint-Louis du Sénégal) :

Sous mes paupières
s’infiltre l’Afrique réelle,
aussi éloignée des images du chocolat Menier
que des dépliants touristiques,
une Afrique dont le regard
me renvoie un passé que je n’ai pas vécu,
mais qui appartient à ceux qui,
comme moi,
ont « les oreilles roses ».

Avec Vinod Rughoonundun, grand poète mauricien qui se suicidera cinq ans plus tard.

Sur la plage de N’gouja,
j’entre toute habillée dans l’Océan Indien.
Pour l’ami mauricien malade,
j’accomplis le rite :
trois fois une goutte sur le front,
trois fois boire un peu d’eau de mer.

Note de lecture sur SAINT LOUIS, 17 DÉCEMBRE 2017.
Rédigé par La Lorgnette du Margouillat et publié depuis Overblog :

Source inépuisable de connaissance, Google, pour peu que l’on soit curieux, est un outil de culture, un professeur extraordinaire !
Si internet a de mauvais, voire très mauvais côtés, il permet dorénavant à tout un chacun de savoir tout sur tout !
Et, il faut bien l’avouer, quand je vois le Margouillat penché sur son ordinateur, je me dis que l’animal s’instruit encore et toujours malgré son grand âge.
Le vieux lézard s’éclate et est en train de rattraper ses catastrophiques années où il dépérissait sur un banc d’école...
L’autre soir, la Lorgnette lui suggère d’écrire un papier sur un sujet que l’écaillé de brousse maîtrise peu, voire pas du tout !
J’observe la scène et je vois mon reptile se mettre à taper dans son moteur de recherche.
L’écrivaillon prend des notes, corrige, raye, réécrit, met en forme, revoit sa syntaxe, son orthographe et me tend le papier :
 Voila Boss !
Je lis.
"Sous le Pont Faidherbe coule le Sénégal. Sous mes paupières s’infiltre l’Afrique réelle, aussi éloignée des images du chocolat Menier que des dépliants touristiques, une Afrique dont le regard me renvoie un passé que je n’ai pas vécu, mais qui appartient à ceux qui, comme moi, ont les oreilles roses."
Ce texte est extrait d’un bouquin de Chantal Dupuy-Dunier, "C’est où Poezi ?"
"Dans ce recueil, Chantal Dupuy-Dunier traverse le Sénégal, Mayotte et le Liban. Elle nous livre ses carnets de voyage avec un oeil à la fois émerveillé et lucide, où scintille son humour, où se reflète la réalité de la pauvreté et des guerres aussi bien que la chaleur humaine du cœur de tous ces êtres qu’elle a rencontrés.
Autour de Poezi, il semblerait bien que les humains trouvent un langage commun pour lutter contre la barbarie qui dépouille, et qu’ils ne cessent de trouver malgré tout des beautés à revêtir.
Voici maintenant que j’ai envie de lire Nerval & Lamartine en leurs échappées orientales, et Andrée Chedid aussi...et de garder ma main sur Poezi."
La ville de Saint Louis possède un charme particulier. Sans entrer dans les problématiques d’abandon, de destruction, de sauvegarde de patrimoine, de pollution ni d’effets climatiques, se balader sur l’île, c’est ressentir un million de sensations, souvent indescriptibles tant elles sont souvent paradoxales.
Saint Louis choque, s’entrechoque, bouscule entre poésie, nostalgie, réalité froide, rencontres chaleureuses.
Dernièrement, je me suis repassé "coup de torchon" et "les caprices d’un fleuve".
J’ai lu Bohringer :
"Le grouillement du terminal où tu débarques, le business qui commence tout de suite, la chaleur qui t’enveloppe. L’aéroport, c’est le premier contact avec un Peuple et pour moi, ce premier contact a été un choc définitif. Tu croises là des gens venus de leur village pour gagner cinquante centimes d’euro en portant tes bagages, mais aussi, le bourgeois qui, comme dans tous les pays du monde, traverse royalement la misère de ses frères. C’est bourré de regards, de loin, de près, de côté, de dos. Quand tu arrives là-bas, l’Afrique va te perdre, mais l’aéroport t’a déjà perdu. J’ai toujours atterri en fin d’après-midi à Dakar. La première vision de la lumière électrique dans la nuit africaine est unique. Puis on entre dans la ville. Il y a déjà du sable du désert sur la voie Pompidou. Mais, on ignore encore le grand voyage qui nous attend.
Ah ces couleurs incroyables qui remplissent l’œil du matin au soir. Certaines heures de la journée sont inoubliables. Il y a aussi une bande-son prodigieuse, avec le chant du muezzin qui tricote son rap. Surtout le chant du matin et celui de 17 heures, pour moi les plus impressionnants. On entre très vite dans les habitudes locales. Mais le genre de blues qu’on peut ressentir là-bas est très costaud, surtout vers 17-18 heures. Partir en Afrique avec le cafard est une grosse erreur. Dans l’arrière-cour des maisons, quand on est assis sous l’arbre avec l’ancien, avec des gamins qui courent dans tous les sens, des poules qui picorent de vieux pneus, là on trouve un peu de paix. Ce continent m’a pris dans ses bras. Il a le sens du partage. Ceux qui m’ont donné n’avaient rien : ils sont allés chercher dans les trous qu’ils ont dans les mains. C’est très difficile de se sentir à sa place quand on est toubab car, là-bas, la vie n’est qu’africaine. Mais, j’ai eu le sentiment d’être accepté."
J’ai regardé le Margouillat. J’avais compris sa nostalgie.
 Allez, viens vieux lézard, on y retourne, à Saint Louis !
(illustration Philippe Cormault)

Le lagon de Mayotte

II - Extraits de "Karibou poezi" (Mayotte) :

Pîle :
Entre Mayotte et Anjouan,
ailes déployées,
les raies manta géantes
croisent les cadavres bleus
flottant entre deux eaux
des naufragés des kwassa-kwassas,
lambeaux de peaux mêlés aux algues.

C’est où Mamoudzou ?
 Là où était jadis une île des Comores.
C’est où Dzaoudzi ?
 Après le cimetière marin le plus grand du monde.

Bateau sur la Méditerranée à Beyrouth

III - Extraits du "Voyage en Orient" (Beyrouth et le Liban) :

Poème blessé par des éclats de verre,
phrases aux carcasses noircies,
mots les roues en l’air.

Poème fracassé
rue Ibrahim Mounzer,
ou ailleurs,
à l’heure des bombes et des pièges.

Achrafieh,
aux douces sonorités pourtant…

Poème mort avant d’être écrit.

Je n’ai pas vu un seul cèdre,
c’est presque mieux ainsi.
Comme les enfants,
nous avons besoin d’images.
Je continuerai à rêver,
mes cèdres demeureront les plus rares,
non déflorés par le réel.
Leur hauteur sera celle de mon désir.

Le proverbe dit :
« Il y a un Libanais sous chaque étoile. »
Lorsque nous serons partis,
il nous faudra trouver la nôtre.

 Les notes de lecture :

*19 mai 2017

Article d’Annie Forest-Abou Mansour ("L’Ecritoire des muses")

« C’est où Poezi ? » s’enquiert le titre éponyme du recueil poétique de Chantal Dupuy-Dunier Dans un horizon lointain de la beauté des mots riant et pleurant selon les lieux parcourus pourrions nous répondre. En effet, après avoir voyagé dans différents ailleurs, le Sénégal, Mayotte, le Liban, Chantal Dupuy-Dunier fait surgir de ses poèmes dépourvus de titres des coins du monde souvent méconnus que le lecteur sillonne avec elle, s’arrêtant pour découvrir des tableaux lumineux ou sombres, joyeux ou tristes, des décors de rêve minés par la misère. Des poèmes en vers libres descriptifs et narratifs d’un « nous » d’énonciation qui se caractérise par son point d’observation offrent l’envers et l’endroit des pays visités, côté face et côté pile : « C’est où Dzaoudzi ? / Côté face / là où l’on entend un air de Polynésie, / : entre chant et poezi / : Côté pile : / Là où s’échouent les z’illusions / sur des plages de nuit hurlantes de chiens et de sirènes ». Endroits rêvés par les voyageurs, endroits mortifères pour les migrants. D’un côté, la vie et l’univers lumineux des gens heureux, aisés ; de l’autre la vie et l’univers sombres des exclus, des miséreux.
C’est où poezi ? est un recueil poétique proche du carnet de voyage, du journal intime où le sujet poétique note ses observations, ses émotions, ses sensations, de son arrivée à son départ dans chaque lieu. Ses textes s’enchaînent logiquement, se suivent sans hiatus. La clausule de l’un (« Elle est là / qui absout le vol insensé / aux longues escales / (Madrid en pluie. / les gouttes cognant, comme des cornes de taureau, / contre les baies vitrées, / Grand Canaria, / un coucher de soleil roux bordait la ville, / les ailes frôlaient les arbres à l’arrivée sur la piste étroite) / suivi par cet interminable trajet / à tombeau ouvert ») appelle le début du suivant : « Notre tombeau ne s’ouvre pas encore… ». La distinction prose/poésie se dilue dans les enjambements, l’absence de rimes, le flux de la syntaxe, la coulée des images, les répétitions, les jeux de mots et leur musique. Chantal Dupuy-Dunier fait éclater les formes. Elle régénère le genre poétique avec sa créativité personnelle, son pouvoir de suggestion, sa capacité d’émerveillement, de révolte, sa compassion, son empathie.
Le lecteur débarque d’abord avec la poétesse et son époux à Dakar, ville personnifiée, femme élégante « en robe du soir », dans « la chaleur moite » qui « enserre dans son étau ». Puis il discerne la réalité à travers des récits, des descriptions (« beaux enfants debout à cette heure matinale, pieds nus, / disputant les détritus aux poules »), des passages au style direct reprenant les propos tenus par les autochtones, « -Tu veux m’acheter des oranges, / - mon frère a besoin de médicaments. / -Je change les euros », signifiant leur indigence, leur misère, leur quotidien : « Chaque jour, / depuis des années, / ils mangent les mêmes poissons, / avec des olives et du pain plat, / attrapés où sortent les égouts de la ville ». La poétesse découvre le Sénégal, un monde autre et nouveau où règne une profusion de couleurs, de senteurs, de saveurs : « Les poissons sècheront à même le sol, / en nappes argentées / Une vapeur bleuâtre monte des écailles. L’odeur puissante accompagne l‘ascension du soleil / pendant que les femmes écrasent piment et / oignons / pour farcir les darnes, qui cuiront avec le riz brisé ». La fille d’Apollon installe un décor réaliste et esthétique, tableau en mouvement chatoyant donné par la métaphore des « nappes argentées » qui concrétise la luminosité et la fraîcheur des poissons. La « vapeur bleuâtre », « l’ascension du soleil », transports ascensionnels dynamiques créent une impression de légèreté contrastant avec l’odeur forte et piquante de l’assaisonnement. Cuisiner devient une véritable fête des sens. La joie, la vie, la beauté règnent dans cet univers coloré : beauté des lieux (« Le bleu nocturne / harmonise maisons, palmiers et flots »), des enfants (« A chaque éclat de rire, / les petites nattes noires dansent autour des têtes »), des adultes : « Les femmes sont parées pour la fête, / cheveux savamment tressés / coiffes assorties à leurs robes vives, / lèvres teintées de terre rouge / Les hommes arborent leur troisième tenue depuis le matin /, tunique et pantalon moirés ou boubous / orange, jaunes, violets, marron, indigo ». Mais cette beauté ne fait pas oublier le malheur, la misère passée et présente, le colonialisme : « Champs de coton / - un nègre aux cheveux gris s’effondre, / coups de pied donnés au ventre … ». L’empathie, la compassion, l’esprit de solidarité, l’humanisme de Chantal Dupuy-Dunier surgissent au détour de nombreuses phrases que ce soit au Sénégal, à Mayotte, au Liban.
Le Liban, l’Orient rêvé, magique où les plus grands poètes sont allés, « Je pars accomplir ce voyage mythique/ au pays du verbe être, / poser timidement mes pieds dans les traces de géants. / Goethe en a rêvé, / Lamartine pleure encore Julia / à l’ombre trompeuse des mûriers / et Nerval poursuit ses chimères / sur ‘ce sol sacré qui est notre première patrie à tous ‘ » immerge le lecteur dans sa magie. Comme en Afrique, la beauté domine toujours. Jezzine, par exemple, ville libanaise personnifiée évoquée à travers la métaphore filée de l’eau dégage toute une sensualité naturelle et élégante : « Jezzine, / la chevelure abondante / des cascades / ruisselle / depuis les cimes / et se répand sur les épaules de la ville ». Mais ce pays de la cohésion religieuse, « berceau-même / de toutes les croyances du monde » (1), cette beauté ont été traumatisés par la peur née de la violence : « Après les pâtisseries aux amandes et le ‘café blanc’, / je redescends sur terre / dans la ville moderne, bruyante et ambitieuse, / où les éclats de rires masquent la peur quotidienne ». Ils ont été mutilés par la guerre (« Poème blessé par des éclats de verre, / phrases aux carcasses noircies, / mots les roues en l’air. Poèmes fracassé / rue Ibrahim Mounzer, / ou ailleurs, / à l’heure des bombes et des pièges, Achrafieh,/ aux douces sonorités pourtant …/ poème mort avant d’être écrit. »), les constructions anarchiques : « Chaque jour, / de nouvelles grues apparaissent / comme des mantes religieuses. / ‘Solidere’, de ses dents métalliques, / grignote l’espace et la mer » et saccagent la verdoyante nature, empiètent jusqu’à la vaste étendue d’eau salée.
Chantal Dupuy-Dunier, poétesse novatrice, sort de la gangue poétique traditionnelle en faisant exploser les limites de la poésie. Elle invente des formes nouvelles, joue avec les blancs concrétisant le vécu, une voiture zigzaguant : « Notre / voiture /zigzague / entre les /cratères / des rues / et les autres / véhicules. », une zébrure donnée à voir sur la page : « N’Dar est un/ large dos/ zébré comme / un damier ». Elle forge des calligrammes, mimant la lune en berceau du Sénégal. En effet, « comme dans l’hémisphère austral, les croissants de lune sont ‘en berceau’, horizontaux au lieu de verticaux » explique la narratrice dans sa préface. Elle matérialise la ligne de démarcation entre Beyrouth Est et Beyrouth Ouest en alignant verticalement trois mots séparant les substantifs « ouest » et « est ». Les lieux apparaissent comme des idéogrammes. L’écriture de Chantal Dupuy-Dunier se nourrit du quotidien de chaque continent comme lorsqu’elle évoque les citernes d’eau placées sur les toits des maisons libanaises : « Les bubons des citernes poussent sur les toits ». Tous ses poèmes sont marqués par l’ailleurs au niveau des références culturelles, de la réalité vécue de l’intérieur, du vocabulaire avec l’emploi de termes locaux comme« Signares », « talibés », toubab », mezzés, labné, zajal…., loin de tout exotisme. Elle dénonce avec âpreté les voyageurs superficiels qui ne s’intéressent qu’à l’aspect carte postale menteur des pays visités au lieu d’en pénétrer l’intimité : « L’exotisme n’est que le réel déguisé en tourisme. / Où l’aventure maintenant ? Mermoz et Loti sont morts ? Leurre des safaris et des plongées sous-marines. / Je lacère vos affiches / et les murs de vos agences de voyages. A l’intérieur, / se trouvent les bidonvilles, / l’Eldoradzo déçu, / la vérité ». A certains instants, l’écriture relève du cri. Le langage poétique vibre à ce moment-là de toute une révolte alors que la narratrice refuse de s’apitoyer sur elle-même utilisant l’humour et le recul pour évoquer sa propre maladie : « Je rejette derrière moi / le Centre ‘J’en perds un (2) / les chimio-taire happy, / les miaulements des rayons / dans la salle aux philodendrons peints sur un mur triste. / Les deux seins finalement intègres, / je me dirige, ironie, vers le pays / dont le nom signifierait ‘montagne de lait’ » ou pour évoquer les menus déplaisir du voyage : « Les portes de l’Airbus s’ouvrent. / Je deviens linge à repasser / sous la semelle d’un invisible fer à vapeur ». Parfois elle glisse du réel vers l’imaginaire, se représentant ce qui n’existe plus : « Je n’ai pas vu un seul cèdre, / c’est presque mieux ainsi. / Comme les enfants, / nous avons besoin d’images. / Je continuerai à rêver, / mes cèdres demeureront les plus rares, / non déflorés par le réel. Leur hauteur sera celle de mon désir ». Rêve et réel sont des vases communicants mais le monde imaginaire du poète est le plus beau.
Chantal Dupuy-Dunier transporte le lecteur dans les vibrations de la Beauté : celle des mots, de leur contenu et de leur densité, des sons, des couleurs, du rythme, des refrains (« Sous le pont Faidherbe / coule le Sénégal », clin d’œil à Apollinaire), de son univers intérieur ouvert, riche, sensible. Elle capte l’éblouissement du moindre objet, des éclairages, des paysages, des êtres. Poezi, la Poésie, la Beauté, malgré la haine, la misère, la violence, la mort, sont partout pour ceux qui sont capables de soulever le voile qui les masque.

(1) Nerval.
(2) Le centre anticancéreux de Clermont-Ferrand s’appelle Jean-Perrin.
Lire aussi les beaux ouvrages du mari de Chantal Dupuy-Dunier, Denis Langlois.
Le Déplacé de Denis Langlois
http://lecritoiredesmuses.hautetfort.com/archive/2012/07/19/le-deplace.html
La Maison de Marie Belland de Denis Langlois
http://lecritoiredesmuses.hautetfort.com/archive/2013/06/07/la-maison-de-marie-belland.html

*Jacqueline Persini, note parue dans « Poésie première » :

"Chantal Dupuy-Dunier, « C’est où Poezi ? » Les écrits du Nord, Editions Henry, 10 €

Face à la barbarie, la guerre, au terrorisme, aux « enfants sans enfance » se pose la question qui a traversé l’après coup des camps de concentration et continue de traverser le monde actuel : la poésie a-t-elle une légitimité ?
Chantal Dupuy-Dunier, invitée à participer à plusieurs salons d’écrivains, au Sénégal, à Mayotte, au Liban, ajoute une autre question qui rejoint la première : c’est où la poésie ?
Ces voyages dans des pays si différents de ceux du monde occidental et pourtant aussi riches en humanité et en déshumanité que les nôtres, ne sont pas narrés dans le registre du tourisme mais recueillis, sans jugement de valeur, par une poétesse qui sait accueillir l’étrangeté de soi, de l’autre, de l’univers. Après la traversée des dangers d’une « route folle », au Sénégal, les croissants de lune en berceau ouvrent pour la voyageuse une espèce de renaissance. De plus, « l’astre s’est fait calebasse à poèmes ». Au plus noir de la peur, « le fleuve écarte ses bras pour nous accueillir ». Et mettre ses traces dans celles de Senghor, Pierre Loti, Lamartine, Nerval, Stétié, Adonis, Khoury-Ghata, permet de donner une mémoire et une nourriture au « poème blessé par des éclats de verre ».
C’est où Poezi ? Est-elle dans ce geste d’un homme qui partage son pain, « dans le ventre fragile des kakis », dans « les longs cordons ombilicaux » qui « relient hommes et femmes à la mémoire de l’Orient, à la Méditerranée maternelle » ?
Les poèmes nous incitent à prendre avec nous, en nous ces mondes que nous ne comprenons pas afin de les héberger, les apprivoiser pour nous agrandir. Un chemin offert aux lecteurs… "

 Par Martine cros. Site "Aller aux essentiels" :

Chantal Dupuy-Dunier

C’EST OÙ POEZI ?

(Les écrits du Nord

Editions HENRY, 2017)

« Puérils sont les mots

Vaine l’écriture

Effréné pourtant, le désarroi du coeur ».

Andrée Chedid,

– Cérémonial de la violence – citée dans la préface page 7.

"Dans la mosquée,

où je pénètre pieds nus, voilée de noir,

étincelle une simplicité somptueuse.

Des bulbes en cristal constellent le plafond,

le velours épaissit le tapis rouge et noir.

Partout, le silence prie.

Non loin de là,

sapin de Noël horizontal,

la rue Hamra clignote,

déroule tout au long de l’année

sa guirlande festive.

Des valets-parking garent

devant les cabarets

quatre-quatre aux chromes argentés

et longues Mercedes noires.

Pour venir, nous avons pris un bus.

À mes côtés, un jeune Syrien

qui fuyait vers Istambul.

Il m’a montré son cou,

a fait le geste de trancher."

Pages 110/111

"Tablettes phéniciennes trouvées à Byblos,

alphabet de pierres,

une écriture de poissons-fossiles délivrée par la montagne.

Ici,

avant la guerre,

on a enrobé les oeuvres de ciment

pour les protéger.

Où a-t-on caché la poésie

afin de la garder intacte ?"

"À Beit Mery où séjourna Nerval,

nous dînons chez une grande dame.

Palais des Mille et Une nuits,

terrain boisé dominant la ville blanche

et la Méditerranée immuable,

bibliothèque où passer une vie entière

sous le soleil vert des lampes,

murs ornés par des tableaux de maîtres,

mets raffinés.

« Les mots ont une odeur de roses. »*

Coucher de soleil sur le Levant.

Derrière une fenêtre,

Salima ou Jenny passe,

coiffée de tresses rousses.

Le vin libanais enrobe quelques heures

mes interrogations d’un miel insouciant.

* Nadia Tuéni

Pages 114/115

Note :

Ces passages sont extraits de la dernière partie du recueil, « Le voyage en Orient ».

Chantal Dupuy-Dunier l’évoque ainsi en sa préface : « (…) c’est au Liban que je me rendis, invitée au Salon du Livre francophone de Beyrouth. Je séjournai trois semaines là où tant de grands poètes ont vu le jour, dans cet Orient où Lamartine, Nerval et d’autres se sont rendus pour un voyage initiatique, rituel, signifiant.

Je partis en me disant que c’était sans doute là-bas Poezi.

Dans ce recueil, Chantal Dupuy-Dunier traverse le Sénégal, Mayotte et le Liban. Elle nous livre ses carnets de voyage avec un oeil à la fois émerveillé et lucide, où scintille son humour, où se reflète la réalité de la pauvreté et des guerres aussi bien que la chaleur humaine du coeur de tous ces êtres qu’elle a rencontrés.

Autour de Poezi, il semblerait bien que les humains trouvent un langage commun pour lutter contre la barbarie qui dépouille, et qu’ils ne cessent de trouver malgré tout des beautés à revêtir.

Voici maintenant que j’ai envie de lire Nerval & Lamartine en leurs échappées orientales, & Andrée Chedid aussi --- et de garder ma main sur Poezi.

 "Inter-CDI" mai-juin 2017 :

DUPUY-DUNIER, Chantal. C’est où poezi ?. Éditions Henry (2017) 135 p ; 21 cm. EAN 9782364691506 : 10 €.
Saint-Louis du Sénégal / Mayotte / Beyrouth. Embarquement immédiat ! Nul besoin d’un billet d’avion, munissez-vous du passeport « C’est où poezi ? » Trois destinations : trois expériences de vie très fortes.
Arrivée sur le sol africain : « Cour des miracles./Tous ces iris blancs tendus vers nous…/Porteurs au visage las,/ mendiants sans âge/lépreux en fauteuils roulants ». Et la beauté de la lune en berceau dans cet hémisphère. La vitesse démente sur les routes. « Devant des cases entassées,/les drapeaux à prière du linge étendu/claquant au vent du fleuve ». Les enfants des rues ou fouillant une décharge…
Mayotte, les moustiques, le « vol cinématographique des roussettes » (chauves-souris), le jasmin blanc, l’ylang-ylang, les bougainvillées, les eaux turquoise du lagon. La violence aussi : la lapidation des chiens errants, les immigrés clandestins et les enfants jetés des barques pour le lest,
les revers de l’exotisme… « Beyrouth de nuit,/Nice au centuple./ On reçoit la ville en plein cœur ». Klaxons, béton, grues, les pêcheurs à l’embouchure des égouts, la guerre. « C’est où poezie ?... Le poème possède-t-il/une charge explosive ? » Le lecteur entend « battre le pouls profond » de ces 3 territoires. Ce livre magnifique et touchant est dédié aux enfants de ces pays. O. B.

 MARDI 4 AVRIL 2017, à 20h30, Salle Georges-Conchon, à Clermont-Ferrand,
SPECTACLE POÉSIE-MUSIQUE :

C’EST OÙ POEZI ?

autour du dernier recueil de Chantal DUPUY-DUNIER, paru aux éditions Henry,
avec les voix de l’auteur, de Frédérique CHASSANIOL, de Dominique MOTTET,
celles des percussions de Malik ADDA et du violoncelle de Lionel MICHEL. Entrée libre.

En partenariat avec LA SEMAINE de la POÉSIE et la ville de CLERMONT-FERRAND.

Enregistrement audio du spectacle (cliquer sur le logo pour l’enregistrer et l’écouter) :


  • Saint-Louis, Pont Faidherbe, 1
  • Saint-Louis, Pont Faidherbe, 2
  • Saint-Louis, Pont Faidherbe, 3
  • Saint-Louis, le mythique Hôtel de la Poste
  • Saint-Louis, atelier d'écriture, 1
  • Saint-Louis, atelier d'écriture, 2
  • Saint-Louis, notre hôtel, 1
  • Saint-Louis, notre hôtel, 2
  • Saint-Louis, la ville, 1
  • Saint-Louis, la ville, 2
  • Saint-Louis, taxi
  • Saint-Louis, linge étendu au bord du Sénégal
  • Saint-Louis, conteur
  • Saint-Louis, conteuse, 1
  • Saint-Louis, conteuse, 2
  • Enfants émerveillés par les contes
  • Saint-Louis, avec des écoliers et Denis
  • Saint-Louis, un petit enfant
  • Saint-Louis, un ami africain
  • Saint-Louis, avec nos amis écrivains africains, Koudi Kane, Alfa Sy et (...)
  • Saint-Louis, belle coiffure d'une amie africaine
  • Saint-Louis, en pirogue sur le Sénégal
  • Saint-Louis, barque de pêcheur
  • Saint-Louis, dynamique débarquement dans une île proche !
  • Saint-Louis, pique-nique dans l'île
  • St-Louis, mon amie, conteuse, écrivain belge, Jacqueline Daussain
  • Saint-Louis, phacochères dans la savane proche
  • Saint-Louis, chacal dans la savane proche
  • Saint-Louis, les nénuphars du D'Joudj
  • Saint-Louis, cormorans sur un arbre au D'Joudj
  • Saint-Louis, les pélicans du D'Joudj
  • Saint-Louis, bus
  • Saint-Louis, échoppe en bordure de la route
  • Saint-Louis, voitures accidentées, en bordure de route
  • Saint-Louis, l'enfant au t'shirt anarchiste
  • Mayotte, la francoph'île
  • Mayotte, femme mahoraise
  • Mayotte, fillette mahoraise
  • Mayotte, enfant mahorais
  • Mayotte, hommes jouant au mraha dans leur bidonville
  • Mayotte, une écolière
  • Mayotte, la question d'un écolier sur la poésie
  • Mayotte, dans une classe, avec le poète mahorais Nassuf Djailani
  • Mayotte, dans une classe, avec le poète mahorais Nassuf Djailani, 2
  • Mayotte, notre débarquement de la barge, avec Nassuf et Denis
  • Mayotte, homme portant une charge sur la tête
  • Mayotte, les makis malicieux aux yeux orange
  • Mayotte, dattes sur un palmier
  • Mayotte, palmiers
  • Mayotte, la boue dans un bidonville
  • Mayotte, "habitation" d'un bidonville
  • Mayotte, une rose de porcelaine
  • Mayotte, paysage
  • Mayotte, Ylang- Ylang
  • Mayotte, dans une classe
  • Mayotte, dans une autre classe
  • Avec Nassuf Djailani devant les étudiants de lettres modernes
  • Mayotte, en avion
  • Mayotte, la barge
  • Mayotte, au lavoir
  • Mayotte, le Mont Choungui
  • Mayotte, le lagon
  • Mayotte : Les 10 lauréats du Prix de Poésie du Printemps des Poètes
  • Mayotte : Faike, un des lauréats récitant son poème
  • Mayotte, remise des prix aux lauréats
  • Mayotte : Semer des mots et récolter des poèmes
  • Mayotte, annonce des lauréats par Emmanuelle Dompnier, du Rectorat
  • Mayotte, le petit enfant à la bouteille de Coca
  • Mayotte, la mangrove
  • Mayotte, Nassuf Djailani, poète, et Tess Casteigt, du Rectorat de Mamoudzou
  • Mayotte, la ville de Sada
  • Beyrouth, la Méditerranée, 1
  • Beyrouth, la Méditerranée, 2
  • Beyrouth, An Mreissé, le petit port, 1
  • Beyrouth, An Mreissé, le petit port, 2
  • Beyrouth, un pêcheur à An Mreissé
  • Beyrouth, la ville bétonnée, 1
  • Beyrouth, la ville bétonnée, 2
  • Beyrouth, immeubles et maisons
  • Beyrouth, les pêcheurs près des égouts
  • Beyrouth, l'ancien hôtel St-Georges, mythique
  • Beyrouth, Chantal et Denis au bar du Saint-Georges
  • Beyrouth, la Place des canons
  • Beyrouth, la statue des Martyrs
  • Beyrouth, la Grande mosquée Hariri
  • Beyrouth, le tombeau d'Hariri
  • Beyrouth, le mémorial d'Hariri, où explosa sa voiture
  • Beyrouth, tombeaux d'El Hassam et de son garde du corps
  • Beyrouth, la rue de l'attentat d'El Hassam, 1
  • Beyrouth, la rue de l'attentat d'El Hassam, 2
  • Beyrouth, tombeaux des gardes du corps de Rafik Hariri
  • Beyrouth, le Raouché
  • Beyrouth, de nuit, la grande roue
  • Beyrouth, de nuit, la rue Hamra
  • Beyrouth, livraison d'une statue de la Vierge
  • Beyrouth, dans le Chouf, une cascade
  • Beyrouth, Denis et Chantal, invités au Salon du Livre 2012
  • Beyrouth, Chantal en dédicace
  • Beyrouth, Chantal lit "Celle" (L'Arbre à paroles)
  • Beyrouth 2012, les jurés du Prix Goncourt
  • Denis et son vieil ami Ramzi
  • Beyrouth, Chantal et Denis à la villa des Pins
  • Beyrouth, Chantal devant la déesse de la santé au Musée
  • Beyrouth, le Musée
  • Aamatour, notre amie Souhad
  • Beyrouth, avec nos amis Fouad, Ramzi, Hala...
  • Aamatour, festin préparé par Souhad

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